
GALLICANISME ET TRAGÉDIE 91
politique et religieuse, attachée au thème d'Athalie, ressorte plus encore. En ne
laissant jamais paraître la reine pour un tyran d'exercice, Racine pouvait évacuer une
part considérable de ces théories politiques. C'est là sans doute qu'il faut chercher
la raison de la dimension inédite, absente des textes sacrés, dont le tragédien dote
Athalie :
Quoi que son insolence ait osé publier,
Le Ciel même a pris soin de me justifier.
Sur d'éclatants succès ma puissance établie
A fait jusqu'aux deux Mers respecter Athalie.
Par moi Jérusalem goûte un calme profond.
Le Jourdain ne voit plus l'Arabe vagabond,
Ni Paltier Philistin, par d'éternels ravages,
Comme au temps de vos Rois, désoler ses rivages.
Le Syrien me traite et de Reine et de Sœur.
Enfin de ma Maison le perfide Oppresseur,
Qui devait jusqu'à moi pousser sa barbarie,
Jéhu, le fier Jéhu tremble dans Samarie.
II me laisse en ces lieux souveraine maîtresse.
Je
jouissais en paix du fruit de ma sagesse (v. 469-484).
En revanche, sa dimension d'usurpatrice n'en paraissait que renforcée, laissant
deviner le parfait portrait d'un tyrannus sine titulo dont la cruauté s'était exprimée
dans l'infanticide ouvrant le premier acte. A nouveau, Racine rejoignait Choiseul :
L'on oppose encore que la reine Athalia fut déposée, & même qu'on la fit mourir
par l'ordre du pontife Joïada, ce qui semble marquer Y autorité du sacerdoce sur la
royauté. Pour répondre à cette objection, il n'y a qu'à lire cet endroit de rEcriture, &
l'on y trouvera plutôt des marques de Infidélité des pontifes envers leurs rois, que de
leur autorité sur les puissances temporelles. Athalia (...) eut la cruauté après la mort
de son fils, de faire massacrer tous les princes de la maison royale, qui tombèrent sous
sa puissance ; le seul Joas son petit-fils évita la mort. (...) Josabeth (...) déroba cet
enfant à l'inhumanité d'Athalia, l'ayant caché avec sa nourrice, elle eut soin de lui.
Joïada voyant qu'Athalia vouloit toujours régner à l'exclusion de ce jeune prince qui
étoit le légitime héritier de la couronne, & dont il devoit prendre soin comme son plus
proche allié, le fit paroître sept ans après que Josaba sa femme l'eut sauvé des mains
d'Athalia. Ce pontife excita le peuple à reconnoître son véritable roi, & à se défaire
de l'usurpatrice, qui auroit sans doute fait mourir enfin Joas, aussi inhumainement
que le reste des princes qui n'avoient pu échapper à sa fureur. Aussi l'on ne peut pas
dire que Joïada disposa du royaume ; mais qu'il conserva la vie & la couronne au
légitime roi
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Athalie était loin d'être le seul passage biblique qui exciterait les ratiocinations des
théologiens gallicans. Le livre des Macchabées dans lequel le pontife Mattathias
faisait prendre les armes contre le roi Antiochus, lui aussi usurpateur, était au centre
des discussions de 1682. Choiseul tenterait de contourner l'obstacle en montrant que
Mattathias avait agi en homme de guerre plutôt qu'en représentant du sacerdoce,
qu'il n'était intervenu que dans le but de défendre la religion et l'héritage d'Israël.
La terre promise était en effet considérée comme appartenant de droit divin aux
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