
LES RITUELS D'INVESTITURE ET DE MORT DU PAPE 63
mouvement aboutit à un changement de dénomination lourd de sens : pour désigner
le souverain pontife, on passe de l'appellation «vicaire de Pierre» à celle de «vicaire
du Christ»
24
. Le pape s'affirmant (de manière officielle à partir d'Innocent ni)
vicanus Christi et non plus seulement vicarius Pétri, il s'identifie à ce même saint
Pierre à qui le Christ avait donné son Eglise. On assiste ainsi à une quasi-absorption,
par le pontife, de la personne du Christ et du corps de l'Eglise : le pape devient
l'image du Christ sur terre et l'incarnation de l'Eglise. Ce qui rend son pouvoir
légitime n'est plus le fait qu'il se place dans la succession des apôtres et des papes qui
l'ont précédé - ce que suggérait l'expression «vicaire de Pierre» -, mais il occupe
désormais sa fonction par délégation directe de Dieu
:
ce que dit l'expression «vicaire
du Chnst». Dans un sens analogue, Gilles de Rome
25
(l'un des représentants les plus
extrêmes du courant théocratique et l'inspirateur probable de la bulle
Unam
sanctam)
n'hésite pas à affirmer, dans les années 1300, que le pape «peut être dit l'Eglise»
26
.
Mais parallèlement à ce mouvement qui rapproche le pape de la figure du Christ
et lui confère la pîenitudo potestatis, on assiste à la mise en place d'un discours et
d'une ritualité autour de sa caducité tels qu'on n'en avait jamais connu avant. Le pape
est le souverain qui, dans toute l'histoire de l'Occident, a été l'objet du plus grand
nombre de rituels de caducité (ou rituels d'humiliation symbolique). Il n'y a aucun
autre souverain pour lequel on a imaginé des discours et des rituels aussi compliqués,
pour rappeler au pape qu'il est mortel. C'est toute la question du rapport entre la
dimension physique de la personne du pape et la fonction qu'il est amené à revêtir qui
se trouve ici enjeu. Plus le pape se transforme en incarnation de l'Eglise, plus il faut
rappeler au pape-homme qu'il n'est pas immortel comme l'Eglise. On en verra une
illustration particulièrement intéressante dans les rituels (ou certains d'entre eux) liés
à l'accession au pontificat et dans ceux relatifs aux funérailles du pape.
Les rituels d'investiture du pape
Le conclave
Parmi les grandes innovations du
XIII
6
siècle, figure le conclave. Le terme
«conclave» signifie au sens littéral «chambre fermée à clé», les cardinaux devant
s'enfermer pour élire le nouveau pape. Rappelons tout d'abord que depuis le décret
de Nicolas u sur les modalités de l'élection pontificale, promulgué en 1059, cette
dernière est entre les mains des cardinaux, échappant ainsi à l'emprise du pouvoir
laïque. Cependant à cette époque, aucune règle n'impose aux cardinaux de se réunir
en un lieu clos afin de délibérer du choix du futur souverain pontife. Aussi le xm*
siècle occupe-t-il dans l'histoire de l'élection pontificale, qui a connu des phases
complexes et quelques fois fort mouvementées, une place tout à fait déterminante du
fait de la création du conclave, institution qui n'évoluera d'ailleurs plus beaucoup par
la suite. Au départ, le conclave n'est pas un choix de la papauté. Les cardinaux, qui
souvent n'arrivaient pas à se mettre d'accord, furent enfermés à plusieurs reprises par
les autorités laïques des villes où ils se trouvaient. L'idée d'enfermer les cardinaux
au moment de l'élection pontificale s'inspire des pratiques d'élection des doges
de Venise et des podestats de nombreuses communes italiennes. Ceci se produisit
notamment après les décès de Grégoire ce (1241) et d'Innocent iv (1254) : dans le
premier cas - à Rome -, le sénateur Matteo Rosso Orsini les enferma dans le palais
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