
Y A-T-IL DES TEXTES «
SACRÉS
» EN PHILOSOPHIE ? 229
dans les partis nationaux et se popularisa aussi au-delà de
l'uni
vers communiste lors de
la seconde guerre mondiale après les victoires de l'Armée rouge sur le fascisme. Il fut
alors désigné comme un titre de noblesse par les tenants
d'une
orthodoxie «bavarde et
péremptoire»
(B.
Thiry) et, ne l'oublions pas -mais
c'est
une histoire (critique) qui n'a
pas sa place ici -, dénoncé comme un «prête-nom frauduleux »
13
par les théoriciens
les plus exigeants du marxisme critique. Ce ne fut qu'en 1956, au
xx*
Congrès du Parti
communiste de
TURSS
- «rapport secret» de Khrouchtchev (1894-1971) sur Staline
-, que les conditions officielles
d'une
nouvelle vie intellectuelle furent partiellement
rétablies et que l'on commença à voir dans le stalinisme une pensée dogmatique et
une «psychologie imprégnée de foi
»
(L. Marcou). Cette pensée philosophique et cette
idéologie ont en effet débouché sur des mythes et abouti à une «religion où
la
foi
apparaît comme le moteur principal de la société». Tout le système de valeur collectif
et individuel y a pris une connotation « sacrée
»
et des notions comme celle de parti,
de secrétaire général, d'ennemi du peuple, de vigilance révolutionnaire, etc., furent
conceptualisées et mythifiées
l4
.
«Matérialisme dialectique et matérialisme historique» de Staline
aux Editions sociales (1945)
Une première illustration de la sacralisation du marxisme, et plus exactement
de l'importance et du respect absolu accordés à Staline, nous est donnée par
la publication en France en 1945
15
, au sortir de la guerre, de Le matérialisme
dialectique et le matérialisme historique
16
par les Editions sociales - du côté du
jeune
PCF
(1920) avait en effet débuté un effort d'édition organisé en 1928
17
autour
du Bureau d'éditions et des Editions sociales internationales dont les Editions sociales
ont pris le relais en 1945. L'«avant-propos» de l'éditeur de ce court texte de Staline
débutait en effet ainsi: «Le texte de l'ouvrage que nous présentons au public a été
traduit pour la première fois en français en 1937, trois siècles après la parution, en
1637,
du Discours de la méthode, de René Descartes. Ce sont deux moments du
même effort, deux œuvres de la même taille»
18
. Que ce texte attribué à Staline, que
l'on date généralement de 1938
19
, fût, oui ou non, traduit en français dès 1937
20
, il
n'empêche que la comparaison avec Descartes - que l'on voudrait ici conforter par la
correspondance, à trois siècles près, des dates avancées
:
1637-1937 (?) - ne laisse pas
le moindre doute
:
c'est
bien à une œuvre philosophique majeure que l'on avait affaire
ici avec
l'écrit
de
Staline,
jugé équivalent à celui de Descartes. Et ce que les Editions
sociales voulaient ici,
c'était
bien donner à tout le peuple français une méthode
d'analyse qu'elles jugeaient vraiment digne de la pensée française «de Descartes à
Claude Bernard, de Diderot à Langevin
»
(p.
5).
Un voisinage des plus prestigieux était
clairement accordé en 1945 à Staline car qui contesterait le statut de Diderot
(1713-
1784),
le père de Y Encyclopédie des Lumières, celui du physiologiste Claude Bernard
(1813-1878) dont Y Introduction à
l'étude
de la médecine expérimentale (1865) est
un grand classique, celui de Descartes (1596-1650) dont la pensée est considérée
comme le point de départ de la philosophie moderne occidentale, ou encore la stature
du physicien Paul Langevin (1872-1946) qui
s'est
intéressé à l'ionisation des gaz, au
magnétisme et à la thermodynamique et qui fut membre de l'Académie des sciences
de I'URSS et adhérent du PCF? Comparaisons qui visaient donc à asseoir le statut
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