
LES PANÉGYRISTES JUIFS DE NAPOLÉON I
ER
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On lui applique les attributs des héros de la Bible. Il est David et Salomon à la
fois:
lors de la fête religieuse célébrée à Paris, le 10 Pluviôse an xm, à l'occasion
du sacre de Napoléon, on dit qu'il a réuni la force du vainqueur de Goliath et des
Philistins et la sagesse de Salomon
27
. Elu du Seigneur, il est dirigé par l'Eternel, car
il conduit le glaive de la Justice et accomplit les prédictions de Josué (xn, 4 et 5)
28
.
Cyrus
La célébration de Napoléon en nouveau Cyrus est, on le sait, un lieu commun de
l'adulation officielle, surtout entre 1802 et 1806: Bernard Plongeron l'a bien montré
pour ce qui concerne le discours épiscopal. Ce stéréotype de la culture religieuse
impériale, qui a réactivé la figure de Cyrus, courante sous la monarchie, est a priori
commun au christianisme et au judaïsme: l'Eglise, à la même époque, se doit de se
faire le chantre et la chambre d'écho des exploits du génie militaire et politique de
Napoléon; la Synagogue est tenue d'en faire autant,
Le Grand Sanhédrin célèbre donc Napoléon comme un nouveau Cyrus,
ce fondateur d'Empire célébré dans la Bible, qui en fait la plus belle figure de
conquérant, prophétisée par Isaïe dans l'annonce de sa naissance (Isaïe,
XLV)
29
.
Cyrus
qui avait, lui aussi, donné un décret pour le rétablissement du Temple de Jérusalem
et ainsi assuré la première restauration d'Israël. Le Sanhédrin lui attribue les mêmes
vertus, peu après Chateaubriand dans sa préface à la première édition du Génie du
Christianisme (1802).
Comme chez les évêques, le Cyrus invoqué n'est pas celui de Daniel (vin et xi),
soit une théologie presque apocalyptique de l'écroulement des grands Empires pour
qu'enfin apparaisse le «fils de l'homme», mais d'Isaïe
(XLV),
c'est-à-dire l'oracle
messianique
30
. Cette vocation messianique qu'attribue Isaïe à Cyrus relève surtout,
il faut le dire, d'une lecture chrétienne de la Bible - la tradition rabbinique émet en
effet des réserves à ce propos.
Dieu est l'inspirateur des conquêtes de Cyrus (Isaïe
XLI,
24-25). Comme Cyrus,
protecteur païen de la restauration du peuple
juif,
Napoléon, héros non
juif,
est en
quelque sorte adopté par le judaïsme, qui le sanctifie comme héros guerrier. Mais
le ton messianique du Grand Sanhédrin est particulier: il ne met évidemment pas,
comme le discours épiscopal, l'accent sur le fait que seul le Christ peut pacifier
et réformer l'humanité. Ces attributions, pour le Grand Sanhédrin, sont le fait de
Napoléon, que l'on présente comme le rédempteur, ce à quoi se refuse bien sûr la
théologie chrétienne du temps.
Cette insertion de Napoléon dans l'antiquité biblique fait écho à la volonté des
juifs du Sanhédrin d'établir leur propre filiation à l'égard de cette antiquité. Elle
s'inscrit dans l'idéologie de la régénération, qui oppose les vices modernes des juifs
à leurs vertus bibliques.
En contrepoint, il y a le mouvement messianique qui agite le hassidisme en
Europe orientale au moment des guerres napoléoniennes, et dont Martin Buber
s'est
fait le chroniqueur dans son Gog et Magog
:
Napoléon apparaît au héros de Buber
comme une réincarnation du tyran démoniaque Gog, de l'Empire Magog, dont les
victoires doivent selon la tradition juive précéder la venue du Messie
31
.
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