
GALLICANISME ET TRAGÉDIE 89
L'expression
d'une
pensée sociale catholique coïncidait alors à nouveau avec le souci
du peuple :
Sire,
vous savez les besoins de vos peuples, le
fardeau
excédant leurs forces dont il
est chargé
46
.
(Un Roi sage) craint le Seigneur son Dieu, sans cesse a devant lui
Ses
préceptes,
ses lois, ses jugements sévères,
Et d'injustes
fardeaux
n'accable point ses frères
(v.
1280-1283).
Et les vers de Racine de confirmer une fois encore l'oraison :
Celui qui met un
frein
à la
fureur
des flots
Sait aussi des Méchants arrêter les complots.
Soumis avec respect à sa volonté
sainte,
Je
crains
Dieu,
cher Abner, et n'ai
point
d'autre
crainte
(v.
61-64).
Vous qui arrêtez
les
flots
de la
mer,
ô Dieu, donnez des bornes à cette eau coulante
(image de la puissance des rois), par la crainte de votre jugement et par l'autorité
de votre Evangile. Régnez, ô Jésus-Christ, sur tous ceux qui régnent
: qu 'ils
vous
craignent du
moins,
puisqu 'ils n 'ont que vous seul à craindre ;
et
ravis de ne
dépendre
que de vous,
qu 'ils soient du moins toujours ravis
d'en
dépendre
47
.
En soulignant les origines mythiques et sacrées de la monarchie héréditaire
française, Racine ne faisait qu'apporter un nouvel appui à la garantie de l'autorité du
roi régulièrement menacée par les prétentions outrées de certaines sphères religieuses.
Le choix de Racine force ici l'analyste à se tourner vers les événements d'Angleterre,
conformément à l'intuition de G. Charlier, mais plus encore à redécouvrir un
corpus essentiellement français qui
s'était
développé dans une alternance presque
systématique avec la théologie anglicane, depuis les menaces de déposition, de
régicide voire de tyrannicide ayant pesé à la fois sur Elisabeth i
rc
, Henri rv, Jacques I
er
et, finalement, Jacques u, lorsqu'il ne s'agissait pas pour l'Eglise française de mettre
un frein aux revendications outrées des théologiens ultramontains ou réformés. De
même, le rappel du sacre ne soulignait pas seulement la dilection particulière de Dieu
pour les rois de France mais mettait également en relief
la
liturgie du pouvoir et cette
lointaine assimilation du roi à un « évêque du dehors ». Il permettait ainsi d'évoquer
le serment de fidélité et de protection prononcé à l'égard de l'Eglise gallicane
48
.
Athalie au service des libertés gallicanes
Ebranlée par la crise de la régale
49
, l'Eglise de France avait en effet été
forcée, précisément en 1682, de redéfinir les points de sa doctrine qui restaient dans
l'indépendance des avis ou condamnations du Saint-Siège. A travers les échanges de
plus en plus envenimés qui caractérisèrent les relations diplomatiques entre Louis xrv
et Innocent xi, l'assemblée du clergé de France, convoquée de novembre 1681 à
juin 1682, fut finalement acculée au combat des théologiens romains sur des points
essentiels du dogme relatifs aux formules de Yepiscopus universalis ou de làplenitudo
potestatis. Il était alors crucial de déterminer l'autorité doctrinale réelle du pape :
pouvait-elle se prétendre définitive et infaillible sans raviver la question longuement
débattue de la supériorité des conciles généraux sur le successeur de saint Pierre ?
L'ensemble de ces polémiques, par les retombées temporelles qu'elles entraînaient,
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