
158 LA SACRALISATION DU POUVOIR
nombreuses rééditions). En réaction contre
le
jansénisme - un courant spirituel fondé
sur l'abstraction - la dévotion ultramontaine insiste sur la participation à la liturgie :
cmparticipe à la Passion du Seigneur en gravissant comme lui un chemin de Croix, en
s'unissant à lui, en vivant sa souffrance : la plupart des chemins de croix furent érigés
entre 1860 et 1870. Dans ce processus, on constate que l'image physique du cœur
se superpose à l'image psychologique : le cœur bat ; il se contracte et se dilate. La
métaphore du battement de cœur va donc servir à la mise au point
d'une
anthropologie
politique qui vient, en quelque sorte, coiffer la théologie. Le Dieu qui se contracte ou
se rétracte - notamment pour mieux résister aux tentatives de déchristianisation -,
c'est
le Père, le Dieu Vengeur ; et le Dieu qui se dilate,
c'est
le Fils, le Dieu incarné
dont le cœur brûle ou rayonne. On voit de suite que ce schéma va inspirer tout un
discours, très imagé, qu'on retrouve sous la plume des mystiques transmettant leur
expérience.
Sur le plan politique, après 1789, l'image du Cœur est entrée dans la culture
politique comme symbole de l'opposition chrétienne à l'image idéalisée de la
République. Son exploitation donne Heu à un stupéfiant mélange de politique royaliste
et contre-révolutionnaire, de spiritualité sentimentale et doloriste. Du point de vue de
l'histoire des mentalités, l'emblème devient une icône de résistance dans un milieu
traumatisé par la déchristianisation et, de manière plus générale, par la modernité.
Plusieurs facteurs ont activé le processus. En tout premier lieu, peut-être, le
développement de la dévotion féminine. La dévotion au Sacré-Cœur comporte en
effet un ancrage précis dans le contexte de la fin du xvn
e
et du début du xvui
e
siècle,
où
s'est
imposée une religion de femmes, dont la ferveur mystique s'opposait à la
froideur distante du jansénisme
71
. Michelet a radicalisé cette idée, en posant que
la dévotion au Sacré-Cœur fut le résultat d'un complot ecclésiastique jouant sur la
sentimentalité féminine. Dans Du prêtre, de la femme, de la famille (Paris, 1845,
p.
152), il affirme que la circulation du sang et la sexualité sont dominantes dans la
personnalité féminine profonde, et défend ainsi une théorie assez proche des théories
psychanalytiques sur les phénomènes de transfert. Mais d'autres facteurs ont pu jouer,
en particulier la situation des mystiques, cloîtrées mais aussi impliquées dans des
réseaux poursuivant des enjeux stratégiques, comme semble le suggérer la relation
de Marguerite-Marie avec la Visitation. L'instrumentation des visions a, en quelque
sorte, assuré la promotion de certaines visionnaires à l'intérieur des couvents et dans
leur communauté : Marguerite-Marie a fini par jouir d'un privilège équivalent à celui
des abbesses du Moyen Age
72
. La dévotion au Sacré-Cœur a sans doute permis, dans
certains cas, de court-circuiter les hiérarchies, d'entrer directement en contact avec le
Divin, dans l'espoir d'obtenir de nouvelles précisions (ce qui suppose une Révélation
continuée...)
:
vieille tentation, à la limite même de l'hérésie !
L'insertion de la dévotion dans des contextes de crise constitue également un fait
marquant, comme le montrent les circonstances évoquées plus haut : la guerre de la
Ligue d'Augsbourg, la Révolution française, la guerre franco-prussienne, la Grande
Guerre.
On a aussi souligné le rôle qu'avaient joué les jésuites dans le développement du
nouveau culte. Michelet - encore lui
!
- l'estimait prépondérant. Selon lui, les jésuites
voulaient convertir l'Angleterre ; ils avaient placé dans ce but auprès de Jacques, le
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