
GALLICANISME ET TRAGÉDIE 81
ecclésiastique et de son attachement à la doctrine gallicane. En ressuscitant, dans
un corpus littéraire et doctrinal particulièrement ample, les premières communautés
chrétiennes, le Petit Concile s'attachait à ériger en modèle, souvent utopique,
leur organisation politique, sociale ou religieuse susceptible de servir de base à la
réformation de la société française classique. Son objectif était relativement simple
et consistait à mener en profondeur une christianisation des mœurs dont les pôles de
départ restaient, de façon assez traditionnelle, le clergé et la cour. Le cénacle conjugua
ainsi la rédaction de prodigieux ouvrages, extrêmement diversifiés, depuis la création
d'un Catéchisme rénové jusqu'aux classiques Discours sur l'histoire universelle de
Bossuet ou, dans le domaine de l'érudition religieuse, de la Demonstratio evangelica
de Huet quand il ne s'agissait pas de revoir la politique et l'économie sous un angle
primitiviste et communautaire, comme ce fut le cas dans la Politique tirée des propres
paroles de l'Ecriture sainte
n
. Aux visées morales, historiques et chrétiennes
s'ajoute
ainsi un éventail de prises de positions théologiques censées œuvrer à la mise sur
pied
d'une
nouvelle apologétique française et catholique soucieuse de préserver
la Tradition et de faire taire les voix discordantes de la Réforme protestante ou de
la critique biblique rationnelle. Pour asseoir ses velléités réformatrices, le Concile
jouissait de trois moyens d'action qu'il développa en parallèle. Dans un premier
temps, il lui fallut mettre sur pied un nouveau réseau dévot à l'échelle du territoire,
principalement déterminé par les déplacements des évêques, fruit de la manipulation
des nominations aux sièges épiscopaux, décidées par le souverain. L'implication du
Petit Concile dans les entreprises missionnaires accentuait encore son efficacité et lui
permettait, dans le même temps, de participer à la construction et à la rénovation de
l'image religieuse du roi.
Cette ambition ne pouvait se concrétiser sans un recours évident aux finances
royales et, en conséquence, aux institutions de mécénat que le pouvoir avait suscitées
depuis plusieurs années. Hormis la création de la caisse des conversions, dirigée par
P.
Pellisson, autre membre du Concile, qui répartissait les deniers publics dont une
part revenait aux imprimeurs collaborant aux œuvres de conversion, les évêques du
cénacle allaient aussi multiplier leurs appartenances académiques avant de mettre au
point un réseau de cooptation leur garantissant un siège à l'Académie française. La
Bibliothèque du roi serait tout aussi habilement réquisitionnée et encadrée tandis que
notre cénacle s'arrangerait pour garder un œil sévère sur le secteur de la librairie. En
se réservant la direction et l'orientation de gazettes et journaux scientifiques circulant
dans la République des Lettres, les affidés bossuétiens, tel Renaudot, n'hésitaient pas
non plus à se mettre au service de la propagande royale dirigée par Colbert de Torcy et
à mettre la main, de 1699 à 1704, sur la direction du bureau de la censure. A quelque
endroit du champ religieux ou littéraire que Ton se place, le Petit Concile était à
même de susciter ou de répondre, par des biais différents, aux controverses politico-
religieuses les plus pressantes. A ce stade, l'embrigadement des écrivains se révélait
également un adjuvant de taille. Déterminant l'inflexion de la carrière du poète néo-
latin J.-B. Santeul, Bossuet et Pellisson donneraient l'impulsion à une justification
chrétienne et apologétique des genres littéraires inaugurée de façon théorique par
P.-D.
Huet, pour le roman, et poursuivie par Ch.-Cl. Genest, pour la poésie pastorale.
La Bruyère, membre également du Concile, Fleury ou Fénelon se pencheraient dans
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