
LES RITUELS D'INVESTITURE ET DE MORT DU PAPE 61
christianisme, mais les deux termes n'ont pas la même valeur
:
dans ce binôme, l'âme
pnme. Pour autant, même dans les pratiques ascétiques qui visent à le spiritualiser,
le corps n'est pas pour le chrétien ce dont il faut se débarrasser. Le renoncement à la
chair n'est pas le renoncement au corps
8
. Le moine ou l'ascète lutte contre la chair,
afin d'anticiper dans sa personne le corps glorieux du Jugement dernier.
Cet intérêt pour le corps dans les études médiévales a pris des formes variées. On
en trouvera un bon état de la question dans plusieurs travaux récents
9
, en particulier
dans un livre d'entretiens de Jacques Le Goff avec Nicolas Truong, paru en
2003,
intitulé précisément Une Histoire du corps au Moyen Age
10
. Parmi ceux qui ont
contribué à faire du corps un des thèmes les plus actuels de la médiévistique, il
convient d'ailleurs de mentionner deux des principaux disciples de Le
Goff:
Alain
Boureau et Jean-Claude Schmirt. Dans son ouvrage Théologie, science et censure
au xtif siècle. Le cas de Jean Peckham
n
, Alain Boureau
n
s'est
penché sur la
controverse autour du corps mort du Christ
:
qu'en est-il de ce corps détaché de son
âme,
pendant les trois jours qui séparent la crucifixion de la résurrection ? Ce corps
est-il toujours un corps humain ou ne s'agit-il plus que d'un cadavre, une chose en
quelque sorte ? Jean-Claude Schmirt de son côté a consacré à la question du corps
plusieurs de ses «essais d'anthropologie médiévale»
13
. On se souvient en outre de
son livre sur les gestes au Moyen Age
14
, qui impliquent bien évidemment aussi la
corporéité. L'histoire du corps au Moyen Age est en réalité fort complexe, dans la
mesure où elle touche à des dimensions extrêmement variées, qui vont de l'histoire
physique et biologique du corps, aux comportements alimentaires, vestimentaires ou
sexuels, au corps souffrant et à la médecine, ainsi qu'au rapport de l'homme médiéval
à son propre corps
15
, sans oublier bien sûr l'aspect qui nous retiendra ici : les enjeux
théologico-politiques du corps.
Le premier historien à avoir réellement pris en compte la dimension théologico-
pohtique du corps (à l'exception peut-être de Marc Bloch avec son livre sur les rois
thaumaturges
16
) est Ernst Kantorowicz, à la fin des années cinquante du siècle
dernier. La question des funérailles des souverains, dans les monarchies anglaise et
française, se trouve à la base de sa célèbre analyse des «deux corps du roi»
17
. Pour
la résumer brièvement, disons que le souverain a deux corps, un corpus physicum,
sa personne charnelle, corps naturel qui souffre et qui meurt, et un corpus mysticum,
corps politique et immortel qui se transmet surnaturellement à son successeur et
symbolise la permanence du pouvoir royal : c'est à ce corps que l'on fait référence
quand on prononce la phrase «Le roi est mort, vive le roi
!
». L'idée est clairement
mise en scène (comme Ta montré Ralph Giesey
18
) lors des funérailles des rois de
France, où - au cours d'un fastueux cérémonial d'inhumation (qui fut pratiqué des
années 1422 à 1610) - une effigie du défunt est substituée à la dépouille mortelle.
N'étant pas sujette à la corruption, elle symbolise la continuité du pouvoir (au travers
de la transmission dynastique). Ceci illustre en quelque sorte la distinction entre la
personne et la fonction. Cependant, Alain Boureau a montré, dans Le simple corps
du roi
l9
, que les souverains français n'étaient jamais parvenus à faire accepter
totalement cette sacralité de leur corps.
Plus récemment, Agostino Paravicini Bagliani a repris l'analyse théologico-
pohtique du corps, mais cette fois-ci en l'appliquant au pape
20
. Et à la différence du
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