
230 LA SACRALISATION DU POUVOIR
incontournable et élevé de la nouvelle œuvre philosophique de Staline. En 1945, il y a
bien eu en France, via les Editions sociales, une volonté de la part d'un parti politique
de se légitimer en «donnant à lire» une philosophie marxiste-léniniste stalinienne,
si ce n'est ici sacralisée, en tout cas, clairement présentée comme fondamentale et
fondatrice dans l'histoire de la philosophie et au-delà
21
.
Et en ce qui concerne la réception
de
pareille philosophie, l'historien français Jean
Bruhat (1901-1983), qui adhéra au
PCF
en 1925, a pu dire rétrospectivement en 1983
qu'«on a pu s'étonner du fait que des intellectuels comme moi (et je ne suis pas une
exception), non dépourvus totalement de culture marxiste et qui avaient lu Lénine,
aient pu être un certain temps séduits par les textes de Staline». Certes, reconnaissait-
il,
Matérialisme dialectique et matérialisme historique «ne nous apportait rien
de nouveau» mais «l'exposé était clair, simple et convaincant, didactique en un
mot».
Tout en ajoutant: «Je ne me dissimulais pas le caractère superficiel de la
démonstration. Mais je considérais alors qu'il y avait là une sorte d'initiation à la
théorie marxiste. Il suffisait, pensait-on, de lire cela et on maîtrisait tout». Même
si,
précisait-il à nouveau
:
«A coup sûr, pour moi qui avais été un lecteur passionné
de Trotski et de Lénine, le texte stalinien manquait de brillant». Mais - nouveau
contrepoids —, «pédagogiquement, la présentation était séduisante, surtout pour
un militant comme moi qui enseignais dans les écoles du Parti
»
22
. Autrement dit,
sur le plan psychologique, la conscience objective de l'historien de la superficialité
du texte de Staline s'effaçait aux yeux du militant communiste séduit, lui, par son
caractère convaincant et pédagogique à des fins d'enseignement dans les écoles du
Parti communiste.
La Nouvelle Critique (1948)
Deuxième exemple de l'importance accordée au marxisme-léninisme, mais
nettement supérieur en intensité dans la codification stalinienne et dans la virulence
dogmatique de l'attaque: la création en décembre 1948 de la revue du «marxisme
militant»: La Nouvelle Critique dont le rédacteur en chef était Jean Kanapa
23
et
dont le comité de rédaction était alors composé de Victor Joannes, Annie Besse,
Pierre Daix, Jean Desanti, Victor Leduc, Jean Freville et Henri Lefebvre. Cette revue
entendait mener la diffusion de la «pensée marxiste-léniniste-stalinienne»
M
. Et dans
le texte de « présentation » (non signé) de son premier numéro, cette Nouvelle Critique
affirmait que ce qui gênait les
«
modernes marchands de soupe idéologique
»
dans son
apparition, c'était qu'ainsi le marxisme était plus que jamais vivant en 1948, qu'il
était une
«
doctrine militante
» : « Il
les gêne que le marxisme ne meure pas avec Marx,
mais qu'on ne puisse aujourd'hui revendiquer le titre de marxiste sans se réclamer
aussi de Lénine et de Staline, sans compter aussi avec l'immense apport théorique du
léninisme et du stalinisme à la doctrine de Marx-Engels
».
Pour La Nouvelle Critique,
«à la rigueur, ils accueilleraient bien Marx (et surtout le «jeune Marx» comme ils
disent),
voire Engels
;
mais fi de Lénine
!
Certain, plus habile, adopte quand même
Lénine, mais n'entend point prononcer le nom de Staline». Et selon la nouvelle revue,
les raisons de l'«indécence» et de la «totale fausseté» de tels distinguos étaient de
«châtrer la doctrine d'avant-garde du prolétariat, et par là, la lutte du prolétariat,
elle-même». Aussi entendait-elle montrer que «le marxisme est l'affaire de Marx,
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