
232 LA SACRALISATION DU POUVOIR
reconnus coupables de diffamation. Et de très longues années après ses accusations
de mensonges à l'image de la virulente «présentation» de La Nouvelle Critique,
Pierre Daix - élève de la khâgne d'Henri rv (1939-1940), adhérent au
PCF
(1940),
résistant, déporté à Mauthausen (1944), secrétaire de Charles Tillon qui fut ministre
de l'Armement de de Gaulle en 1945, rédacteur des Lettres françaises et de Ce Soir,
intime de Picasso, second d'Aragon, protégé de Maurice Thorez, gendre d'Arthur
London, un des symboles de l'intellectuel communiste militant, stalinien convaincu
à la tête de toutes les campagnes du
PCF
mais qui allait aussi en venir à préfacer en
1963,
Une
journée d'Ivan Denissovitch de Soljénitsyne dont le bannissement le fit
quitter le
PCF
en 1974 après avoir publié un Ce que je sais de Soljénitsyne en 1973
- allait finir par reconnaître en 1976
:
«Ainsi, c'était Rousset qui défendait la vérité.
Rousset et tous ceux qui nous opposaient les crimes de Staline, l'équipe des Temps
modernes, Sartre, Merleau-Ponty, Camus, les trotskistes en général. Nous avions eu
tort contre tous». Mais, par contre, lorsqu'il prit connaissance de la «vérité» des
camps soviétiques de la bouche d'Eisa Triolet (1896-1970) en 1953, Daix adopta
à ce moment-là une attitude tout à fait différente de celle de 1976 et qu'il expliqua
rétrospectivement ainsi
: « Je
ne pouvais simplement pas reconnaître mon erreur face à
Rousset sans avaliser du même coup toute la campagne américaine de la guerre froide
contre le socialisme. Et ça, pas question. Plus que
jamais,
il me semblait qu'on devait
sauvegarder l'avenir du socialisme. Je ne changeais donc pas de camp et la nouvelle
laissait Rousset dans le sien». Et il ajoutait: «Au fond, c'était Sartre qui avait vu le
plus clair. Il acceptait lui, la réalité des camps soviétiques, mais s'était refusé à en faire
une machine de guerre contre le Parti comme Rousset»
28
.
Daix témoigna donc à ce moment d'un respect absolu du Parti. Respect dont
il a livré l'explication psychologique en 1976: «J'entends parfois certains de mes
camarades qui furent aussi staliniens et qui en sont revenus, énoncer qu'ils ne
regrettent rien de leur passé. Moi, si. Que je n'aie pas été le seul, que le Parti ait été
avec moi n'y change rien. (...) Certes le Parti porte la responsabilité de la commande
sociale, parfois de la commande tout court (...). Mais le phénomène significatif,
c'est que nous étions heureux de proclamer notre foi stalinienne dans ce qu'elle
avait de plus intolérable aux autres. (...) Nous ressentions une volupté à manier
l'injure définitive, à brûler nos vaisseaux bourgeois». Unfidéisme qui ressort encore
chez Daix quand il dit avoir été l'interprète du Parti «jusqu'à en perdre le souvenir
d'avoir autrefois cru posséder quelque chose de personnel à dire. L'ennemi en nous
n'était-il pas l'individualisme? Le quant-à-soi? Les citations de Staline et de Thorez
devenaient notre rempart - d'autant plus qu'elles étaient les plus sûrement et les plus
amplement applaudies
»
29
.
«Science bourgeoise et science prolétarienne» (1949)
Troisième exemple de sacralisation dans cette même Nouvelle Critique
lorsque le philosophe Jean-Toussaint Desanti (1914-2002), autre figure majeure de
l'intelligentsia communiste - résistant, membre du
PCF
de 1943 à 1958, professeur
de philosophie à l'école normale supérieure de Saint-Cloud (1960-1975), puis à la
Sorbonne - publia en 1949 un article dont Roger-Pol Droit a dit, dans le Monde,
à l'occasion de la disparition de Desanti le 20 janvier 2002, qu'il était demeuré
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