
90 LA SACRALISATION DU POUVOIR
ne pouvaient se borner à la seule réaffirmation de la législation de l'Eglise. Toute la
problématique du rapport de l'Eglise à l'Etat allait s'en trouver âprement revivifiée.
La cour de Rome prétendant détenir les deux glaives, du temporel et du spirituel,
avait avalisé le pouvoir d'ingérence du pape dans les affaires nationales pouvant aller
jusqu'à l'excommunication, la déposition et finalement l'éradication du souverain en
place. Heurtés de plein fouet dans leur attachement à la monarchie, à la Tradition
ecclésiastique et ne pouvant entériner les développements théoriques des théologiens
romains, les penseurs gallicans, dignitaires de l'Eglise nationale ou parlementaires,
s'attacheraient à redéfinir leur conception de la couronne autour de trois points
fondamentaux : la sécurité de la personne des rois - c'est-à-dire globalement le
problème du régicide ou tyrannicide -
;
la souveraineté des rois, démontrant que les
monarques ne sont en rien les feudataires du pape mais qu'ils tiennent au contraire leur
pouvoir directement de Dieu et, enfin, le point sensible de l'importance à accorder à la
foi du souverain en regard de la légitimité de son gouvernement, lorsqu'il se révélait
impie ou apostat.
L'exemple biblique d'Athalie ne pouvait laisser indifférents ni la curie romaine
ni,
par conséquent, ses contradicteurs. Exploité déjà par le cardinal Bellarmin qui
tentait de justifier un pouvoir indirect du pape sur le roi, c'était à nouveau dans
l'entourage de Bossuet que le thème aurait le plus de succès. G. de Choiseul, évêque
de Tournai, terminant son rapport fait à l'Assemblée du clergé au sujet de la puissance
ecclésiastique, évoquait invariablement les mêmes références scriptuaires que celles
exploitées par Racine. Le personnage de Roboam surgit à nouveau, revêtu d'une
nouvelle dimension relative à la question de l'autorité du sacerdoce dans les choses
temporelles :
Nos adversaires voudraient bien tirer un argument contre nous, de ce que Roboam
fils de Salomon fut dépouillé de toute la domination d'Israël & que seules les tribus
de Juda & de Benjamin demeurèrent
fidèlement
attachées à son service
:
mais qui
ne sçait que cela se fit en punition de la dureté qu'il avoit eue pour le peuple, qui se
révolta contre
lui,
sans
que
le sacerdoce y
eût part ?
L'Ecriture
marque si
positivement
que ce fut par un ordre secret de Dieu, qu'il n'y a nulle apparence d'en tirer aucune
preuve contre notre sentiment
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.
Cette dimension divine autorisant à titre exceptionnel, et donc rare, l'intervention d'un
particulier dans la déposition ou le meurtre des monarques constituait en réalité l'un
des aboutissements des développements les plus controversés au sein des querelles
sur le tyrannicide, depuis le haut Moyen Age
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. La citation précise également la
nature du tyran et de son agresseur, fruit des distinctions amorcées par saint Augustin
et prolongées par saint Thomas d'Aquin. Roboam est l'incarnation d'un tyrannus
administrât™, ou tyran d'exercice, qui a détourné l'intérêt public à ses propres
fins, privées. Le cas d'Athalie se révélait plus problématique. Racine, relisant saint
Thomas
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, et probablement marqué par une part non négligeable des développements
théoriques qui étaient venus se greffer sur la pensée du docteur angélique, se devait
de clairement circonscrire sa pièce face aux implications théologiques que l'on ne
manquerait pas d'y lire. Soucieux de respecter les raisonnements exégétiques en
faveur parmi les commanditaires de la pièce, il s'engagea à dépasser le texte des
Ecritures afin que l'illustration par excellence de la topique de toute restauration
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