
GALLICANISME ET TRAGÉDIE 85
Comment ne pas reconnaître dans le descendant de Salomon, le prototype d'une
hérédité contrastée qui reflète directement celle du petit-fils d'Athalie ? Tirés tous
deux du livre des Rois, ils succomberaient à la même faiblesse en suivant les basses
flatteries des courtisans, laissant deviner les suites funestes de leur règne. Le rappel
de Roboam dans l'évocation de la scission des douze tribus d'Israël n'était pas
une nécessité pour Racine. Il y sacrifierait pourtant dès sa préface
29
. Dressant un
diptyque saisissant, le dramaturge se ralliait donc implicitement aux théories favorites
du Petit Concile, esquissant les conditions de légitimité du gouvernement politique.
Racine laissait ainsi deviner d'emblée les tonalités de sa dernière tragédie biblique :
antimachiavélisme, refus du pragmatisme extrême, louange de l'unité politique et
religieuse, attention particulière portée sur le choix d'une éducation, garante de
l'ordre social, le tout situé dans la perspective générale du salut.
L'influence pédagogique du cénacle se devine encore dans l'ombre du roi. A la
cour, Louis xiv entendait en effet depuis longtemps laisser un testament politique qu'il
dédicacerait à son fils. Pour satisfaire à son projet, souvent délaissé par les affaires
d'Etat, le roi avait eu recours en 1666 au précepteur du dauphin, Périgny. Quatre ans
plus tard, le décès de ce dernier offrirait la charge pédagogique à Bossuet tandis que
la rédaction des Mémoires du roi échoirait à Pellisson. Le monarque reverrait avec ce
dernier les travaux de son prédécesseur concernant précisément les premières années
de son règne solitaire. La rédaction accuserait encore cependant d'importants retards
dus à des conjonctures pour le moins préoccupantes. En 1679, le récit décourageait
le roi ; la visée pédagogique qu'il lui avait assignée était alors désuète. Son fils qui
avait sept ans en 1668 était devenu adulte et prenait déjà part au gouvernement.
Le volume resterait donc inachevé sans être pour autant entièrement délaissé par
Louis xiv. Il se verrait en effet suivi, dans le même état d'esprit, des Instructions
au duc d'Anjou (1700). Placés entre les mains du Petit Concile, ces Mémoires tenus
plus ou moins secrets pouvaient aisément être communiqués à Racine qui saurait en
faire bon usage. A la mort de Pellisson, en 1693, les papiers relatifs à l'histoire de la
monarchie tomberaient d'ailleurs tout naturellement dans l'escarcelle du dramaturge,
au grand dam de Leibniz qui s'en plaignit auprès de l'évêque de Meaux
30
. Enfin,
la Lettre à Innocent xi sur
i
'éducation du dauphin avait, elle aussi, insisté sur ce
désir qu'avait eu Bossuet d'élever le jeune élève dans l'admiration et l'imitation de
son père, conformément au souhait de ce dernier. L'évêque n'avait fait en cela que
sacrifier à l'évolution du système de la représentation royale qui allait privilégier pour
Versailles la peinture du roi sous ses propres traits, évoqués dans sa propre histoire,
cohabitant avec les allégories et les dieux de la mythologie antique
31
. En octroyant
à Racine l'accès à une source supplémentaire - mais incontournable -, le cénacle
ne faisait encore qu'imiter un mode d'échange déjà familier de la Petite Académie.
Celle-ci n'avait pas hésité, en effet, à user, lors de la querelle du
Vite
et Bérénice entre
Racine et Corneille, d'un processus identique de distribution de pièces confidentielles
par les agents de Colbert afin que les auteurs ne manquent pas de mettre en scène les
renoncements privés et le sacrifice politique de Louis xrv
n
. Pellisson, entre autres,
pouvait naturellement servir d'intermédiaire dans le cas présent. Les maximes plus
ou moins dictées par le souverain se lisent dès lors en filigrane de la plupart des
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