
LE SÉMINAIRE DE BRUXELLES 15
justement Beyer de Ryke, il fallait dire plusieurs choses à la fois ; le haut et le bas,
la caducité et la pérennité, plus exactement la caducité de la personne et la pérennité
de V institution. Nulle part, probablement, ne se donne mieux à lire un certain idéal
^humilité ostentatoire qui a traversé le temps, comme le suggère l'inventaire,
dressé par Anne Morelli, des modifications intervenues dans la mise en scène des
fastes liturgiques organisés autour du pouvoir pontifical : des symboles, devenus
inintelligibles, ont
été
abandonnés
;
une certaine sobriété a remplacé les fastes baroques
d'autrefois, alors même qu'émergent de nouvelles formes de visibilité, adaptées aux
besoins d'une société conditionnée par les média, et dont l'exemple moderne le plus
évident est sans doute la théâtralisation encadrant les déplacements du pape actuel,
premier « télévangéliste » catholique. On
s'est
demandé si l'hypermédiatisation des
performances pontificales modifie le rapport des fidèles - et aussi des non-croyants - à
l'Eglise. Mais, comme le constate un livre récent, il se pourrait bien que le phénomène
doive être saisi dans la longue durée ; il pourrait bien n'être qu'une réactivation d'un
fantasme de la religion populaire : le grand rêve de « voir et toucher le pape »
28
.
Sans doute, le préjugé des « pompes », des fastes de l'Eglise mérite-t-il d'être
nuancé. A cet égard, la contribution d'Emile Poulat rectifie une certaine image de
la sacralisation du Pouvoir en l'identifiant avec une dramaturgie inséparable de la
vocation eschatologique de l'Eglise. La mise en scène triomphaliste ne vise pas
seulement le « peuple », les spectateurs immédiats d'un spectacle, mais le monde
en général, en vue de la « victoire finale ». Toutefois, dans la pratique, la visibilité
s'adapte à l'exigence de légitimité dans des conditions souvent équivoques. Jean-
Philippe Schreiber, en particulier, décrit la séance inaugurale du Grand Sanhédrin
(9 février
1807),
dont les pompes et le faste visaient à matérialiser la volonté impériale
de faire sortir le judaïsme des ténèbres de la synagogue, puisqu'il s'agissait de rien
moins que d'opérer la résurrection de la nation juive, dans un climat millénariste
et messianique. Mais J.-Ph. Schreiber montre aussi le pragmatisme de l'empereur,
sa volonté de considérer les juifs comme les membres d'une nation (et non d'une
religion), pour lesquels il demande des lois particularistes, et l'ambiguïté des rapports
de force, entre le centralisme jacobin manifesté par le Pouvoir, et l'opportunisme
des membres de l'élite juive ralliés à son projet. De cette attitude témoignèrent
entre autres les manifestations d'adulation et les louanges empruntées aux Ecritures,
transférées au bénéfice du maître de la France, mais coulées en forme dans des termes
qui ne relèvent pas exactement d'une idéologie passive, même si Napoléon reçut une
stature de héros biblique, et s'il fut, dans la rhétorique des participants, quasiment
« judaïsé », désigné comme un Moïse libérateur ou législateur, élu de Dieu, oint du
Seigneur, investi - surtout après Austerlitz - d'une mission divine, messianique et
guerrière. On notera à ce propos que, contrairement aux rois de France, Napoléon ne
fut assimilé, par l'épiscopat concordataire, ni aux juges, ni aux rois d'Israël : pour
la hiérarchie catholique, il n'est pas issu d'Israël, mais suscité par Dieu pour libérer
Israël ; il est donc une figure à la fois étrangère et prophétique de son destin
29
. Dans
le détail, le Grand Sanhédrin a participé à la célébration d'un véritable culte impérial,
qui vénère le restaurateur de la liberté religieuse, l'homme qui a relevé les autels...
pour y placer « un Dieu français et napoléonien ». La question se pose donc de savoir
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