
110 LA SACRALISATION DU POUVOIR
l'occasion de renforcer l'exercice de leur pouvoir au sein des communautés et
d'imposer leurs vues en matière doctrinale.
Les formes de l'organisation du culte sont largement inspirées par un plan dressé
par un groupe de notables juifs réunis à Paris en 1805 et présenté à Jean Etienne
Marie Portalis (père), alors ministre des Cultes
;
ce plan fut transmis à Napoléon, au
camp de Boulogne, en août 1805. C'est l'élite dirigeante juive elle-même qui sollicita
l'intervention et la surveillance du gouvernement dans les affaires juives. Berr Isaac
Berr, représentant officieux du judaïsme ashkénaze, réclama avec insistance une
organisation étatique pour le culte
juif,
une sorte de concordat. Par ailleurs, les divers
recensements de la population juive qui accompagnèrent les initiatives de Napoléon
depuis l'enquête sur la population juive de 1806 n'auraient pu être réalisés sans la
coopération du réseau communautaire
juif.
On peut donc parler de convergence entre
les besoins formulés par la société juive et la politique personnelle de l'Empereur.
Napoléon a ainsi, par sa politique, engagé
le
judaïsme français au rassemblement
;
il a également permis à quelques dirigeants locaux de hisser leur statut à l'échelle de
l'Empire tout entier. Pour avoir un représentant acceptable aux yeux de l'Empereur,
des ashkénazes orthodoxes ont accepté qu'un déiste comme Furtado, plus au fait
des écrits philosophiques que de la littérature rabbinique, prenne la direction des
communautés. Ce qui explique le résultat du vote pour la présidence de l'Assemblée :
soixante-deux voix pour Furtado contre trente-deux à Berr Isaac Berr, pourtant l'un
des artisans de la revendication d'égalité civile au lendemain de la Révolution.
De même, pour solidement fonder en doctrine les décisions du Sanhédrin, les
séfarades éclairés ont dû admettre la présidence de Sinzheim, en raison de son autorité
rabbinique incontestée, et de sa capacité à concilier les exigences de la doctrine
avec les demandes de l'Empereur. C'est pour des raisons identiques que Sinzheim
deviendra premier grand rabbin du Consistoire central, en 1808. Dès lors que les
séfarades parlent aussi au nom des ashkénazes, et vice-versa, il faut nécessairement
s'entendre. Les conflits et les tensions sont gommés, ne restent que les points
d'accord, les compromis.
Le Sanhédrin
Le Sanhédrin a donc pour but de donner une sanction solennelle aux réponses de
l'Assemblée, ou comme il est dit à l'époque, de placer les actes du Sanhédrin
«
à côté
du Talmud pour être articles de foi et principes de législation religieuse» '
5
.
François Delpech en a fait en son temps la synthèse de manière remarquable
16
:
par ses décisions, le Sanhédrin va distinguer les lois religieuses intangibles et les lois
civiles contingentes; il va inviter au respect des lois de l'Etat, comme le souhaitait
le gouvernement de Napoléon, mais en défendant le caractère obligatoire de ses
prescriptions, réaffirmant du même coup l'autorité des rabbins en matière religieuse;
il va renoncer à l'anathème contre les mariages mixtes, mais sans les recommander
pour autant, ne fléchissant pas devant les injonctions de Napoléon, qui voulait diluer
les Juifs dans la société française grâce à l'exogamie; il va accepter la conscription
et dispenser les militaires des prescriptions rituelles incompatibles avec le service
militaire; il va, enfin, condamner l'usure mais en même temps mettre l'accent sur
la fraternité entre juifs et non juifs, s'employant à «dissiper l'erreur qui attribue aux
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