
MAURICE BARRÉS ET LE CULTE DE JEANNE D'ARC 193
met en scène, sur ces clichés, c'est l'abnégation de l'écrivain qui a choisi d'enraciner
son œuvre - en consentant à en dédorer le prestige - au cœur du politique.
*
* *
Mais le désir de Barrés de voir se réunir autour de Jeanne d'Arc les diverses
familles de pensée qui font son identité, se heurte à l'esprit de division qui envenime
la France : « La défaite de 1871, la longue méditation sur le sort de la patrie qui en
découle, les luttes politiques qui mettent aux prises républicains et monarchistes, la
crispation d'un catholicisme en perte d'autorité publique et en proie aux attaques
anticléricales, toutes les passions vont jouer en faveur de la glorification de Jeanne
d'Arc, dont la mémoire va se trouver écartelée entre les partis »
48
. Laurent Tailhade,
dans L'Action, traite Jeanne d'Arc d'idiote et voit en elle une « mascotte militaire » et
une « idole clérico-laïque dangereuse à toute pensée libre »
49
. En 1907, Clemenceau,
alors président du conseil, interdit aux fonctionnaires et aux officiers de participer
aux processions orléanaises en l'honneur de Jeanne d'Arc dans lesquelles prendraient
place des ecclésiastiques. Le clergé renoncera à défiler, en raison de la présence des
loges maçonniques dans le cortège. On le voit, le pouvoir réunificateur de Jeanne est
loin d'être aussi fort que Barrés l'avait espéré. En 1912, un projet analogue à celui de
Joseph Fabre échoua pour les mêmes raisons. Barrés avait cru, pourtant, que le temps
des dissensions était dépassé, sûr que chacun « peut personnifier son idéal en Jeanne
d'Arc » : « Elle est pour les royalistes le loyal serviteur qui s'élance à l'aide de son
roi ; pour les césariens, le personnage providentiel qui surgit quand la nation en a
besoin ; pour les républicains, l'enfant du peuple qui dépasse en magnanimité toutes
les grandeurs établies ; et les révolutionnaires eux-mêmes la peuvent mettre sur un
étendard en disant qu'elle est apparue comme un objet de scandale et de division pour
être un instrument de salut »
50
. Il faudra attendre la Grande Guerre de 14 pour que la
réunion escomptée ait lieu. Barrés dépose dès décembre 1914 une proposition de loi
visant l'institution d'une fête nationale de Jeanne d'Arc
:
« Quand l'Allemagne glorifie
et justifie, pour mieux les déchaîner, tous les instincts brutaux, groupons-nous autour
de cette incomparable image de la force jointe à la plus rayonnante loyauté »
51
. Le 14
avril 1920, Barrés réitère sa proposition en la présentant en ces termes : « Il n'y a pas
un Français, quelle que soit son opinion religieuse, politique ou philosophique, dont
Jeanne d'Arc ne satisfasse les vénérations profondes. Chacun de
nous
peut personnifier
en elle son idéal. Etes-vous catholique ? C'est une martyre et une sainte, que l'Eglise
vient de mettre sur les autels. Etes-vous royaliste ? C'est l'héroïne qui a fait consacrer
le fils de saint Louis par le sacrement gallican de Reims. Rejetez-vous le surnaturel ?
Jamais personne ne fut aussi réaliste que cette mystique ; elle est pratique, frondeuse
et goguenarde, comme le soldat de toutes nos épopées... Pour les républicains, c'est
l'enfant du peuple qui dépasse en magnanimité toutes les grandeurs établies (...)
Enfin les socialistes ne peuvent pas oublier qu'elle disait
:
« J'ai été envoyée pour la
consolation des pauvres et des malheureux ». Ainsi tous les partis peuvent réclamer
Jeanne d'Arc. Mais elle les dépasse tous. Nul ne peut la confisquer. C'est autour de sa
bannière que peut s'accomplir aujourd'hui, comme il y a cinq siècles, le miracle de la
réconciliation nationale »
52
. Le 24 juin 1920, la fête de Jeanne d'Arc était reconnue
officielle, approuvée à l'unanimité des députés et sans débat
:
« La République
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