
252 LA SACRALISATION DU POUVOIR
complexe antiromain. En toute hypothèse, à Vatican n, une image a été brisée comme
un miroir : la grande utopie qui a tant fait rêver depuis dom Maur Cappellari.
Le triomphalisme dénoncé
A ce point, une remarque décisive s'impose. Le triomphe et le triomphalisme de
l'Eglise,
ce
n'est pas simplement la mise en scène du pouvoir souverain ou hiérarchique
en référence au peuple qu'il régit ou aux pouvoirs qu'il affronte. Le Soulier de satin de
Claudel en donne une meilleure idée : c'est la scène du monde, où l'Eglise mobilise
tous les siens en vue de sa victoire finale sur toutes les forces - célestes, terrestres,
infernales - hostiles à sa mission, inséparable d'une vision eschatologique. La vie
de l'Eglise est ainsi vécue comme une grande dramaturgie sacrée tout au long d'une
période -
« les
derniers temps
»
- dont l'échéance, perçue d'abord comme imminente,
en est venue à apparaître aujourd'hui d'une durée indéterminée, sauf catastrophe
régulièrement annoncée par des prophètes et des visionnaires sans mandat, et
régulièrement démentie. Ce triomphe reste une promesse, reçue in spe, en espérance
et dans la foi.
La manifestation publique et l'organisation contrôlée de cette espérance, c'est la
liturgie, centrale dans la vie de l'Eglise, associant étroitement le peuple chrétien à son
déroulement - cycle temporal des mystères, cycle sanctoral de leur fructification -,
et trop reléguée au second plan à l'âge de la raison critique et de la connaissance
scientifique. Dans Le Feu sacré, Régis Debray a justement fait un « éloge des rites »
face à une «hypertrophie du Verbe»
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, qui donne ainsi le pas à la théologie, aux
théologiens, à ceux qui savent. On retrouve ainsi le vieux débat autour de la formule
Lex orandi, lex credendi, stylisée par les historiens récents dans l'opposition entre
«religion cléricale et religion populaire».
La liturgie doit être entendue dans sa plus grande extension. Elle ne se limite
pas à la célébration des offices et à l'administration des sacrements selon le rituel
et ses rubriques. Elle a ses dépendances : de ses formes «paraliturgiques» à toutes
les pompes dont la vie catholique
s'est
enchantée. Les Trésors des cathédrales en
témoignent, mais aussi, par exemple, les Congrès eucharistiques -nationaux et
internationaux - ou, à Paray-le-Monial, le musée des Fastes eucharistiques constitué
par le baron de Sarachaga. La vie des paroisses, surtout urbaines, était jalonnée par les
grands mariages et les grands enterrements (avec le système des «classes»).
La liturgie assumait ainsi une fonction festive qui a, sans doute, plus fait pour
la piété et la fidélité des populations que la mémorisation de formules dogmatiques.
Le catéchisme lui-même aurait sans doute été moins assidûment fréquenté si la
cérémonie de la communion solennelle et de la confirmation épiscopale n'avait été à
son terme. Lui-même d'ailleurs avait sa solennité et son rituel, puisqu'il était fait non
par des dames bénévoles, mais dans une chapelle affectée à cet usage par des prêtres
en surplis.
L'évolution sociale, la réforme liturgique et ce qu'on a appelé resprit conciliaire
ont porté un coup dur à cette tradition, mais ont vite touché leurs limites, avec
leur cortège de désillusions. Plus qu'à la résistance des conservateurs, ces limites
tenaient à la nature des choses. Il y a toujours eu dans l'Eglise catholique des esprits
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