
SUR LA TERRE DU REMORDS 147
Quoi qu'il en soit, on peut encore citer le cas de Marie Robine, dite «Marie la
Gasconne» (fl399), une simple paysanne des Hautes-Pyrénées (diocèse d'Auch)
vivant en recluse en Avignon. Elle commença à avoir des visions et des révélations.
Elle aussi reçut l'ordre divin d'aller trouver le roi, à qui elle écrivit mais dont elle ne
reçut pas de réponse. Lors de l'examen auquel tut soumise Jeanne d'Arc en 1429 (à
la demande du Dauphin, pour s'assurer de son orthodoxie), on cita son témoignage ;
elle aurait prophétisé qu'« une pucelle délivrerait le royaume ». On se trouve donc en
présence d'une authentique tradition, qui confirme le statut théologique incertain des
révélations privées, dont la multiplication dans la chrétienté du
XV
e
siècle, recouvre
des phénomènes de confrontation de cultures
:
d'une part, les maîtres de l'Eglise et les
docteurs, les théologiens qui se sont éventuellement montrés incapables de résoudre
les conflits dont l'Eglise et la France étaient affligés ; d'autre part, les femmes
assumant une sorte de gestion de la
«
religion des simples
»
16
.
Au
xvir
3
siècle, le prophétisme féminin a bénéficié de l'action de saint Jean Eudes
(1601-1680) - béatifié par
Pie
x en 1909, canonisé par Pie xi en 1925 - qu'on a parfois
appelé le «prophète du cœur», parce qu'il préconisait une religion de l'amour axée sur
la
relation personnelle du croyant avec Jésus-Christ. Pour cet élève de Pierre de Bérulle
et de Charles de Condren, le cœur était le centre intime d'un
«
sujet», ce qui explique
qu'on ait dit de lui qu'il annonçait le «personnalisme» du
XX
e
siècle
n
. Eudes fut le
premier à unir les cœurs de Jésus et de Marie dans un culte commun, laissant entrevoir
par là une véritable dérive théologique qui entraîna l'opposition
des
jansénistes : c'est
à cette époque que ces derniers commencèrent à utiliser l'expression méprisante de
«cordicoles» et à dénoncer le matérialisme de la nouvelle dévotion
18
.
Ce dernier a suscité des oppositions farouches, comme celle de l'abbé Grégoire,
qui a consacré aux cordicoles tout un chapitre de son livre sur Y Histoire des sectes
19
.
Il y a en effet un problème : lorsque nous adorons le Cœur du Christ, est-ce que nous
adorons le Christ tout entier, ou seulement une partie de son être physique ? C'est la
question que posaient les jansénistes : pourquoi peut-on adorer le Cœur de Jésus, et
pas sa tête, ses pieds ou ses mains ? Les adversaires de la dévotion faisaient même
référence aux travaux scientifiques de Descartes, Hartley et d'autres, qui contestaient
que le cœur fût le siège des affections, qu'ils situaient par contre dans la glande
pinéale. Dans ce cas, ne faudrait-il pas honorer la sacrée glande ?
Ce problème allait provoquer toute une controverse, dont l'aboutissement
fut, à la fin du xviu
8
siècle, le Synode diocésain de Pistoie (1781), dominé par les
jansénistes. Ceux-ci affirmaient dans la proposition 61 de leurs conclusions relatives
au culte : «Adorer directement l'humanité du Christ, et encore plus, une partie de
cette humanité, est toujours rendre un honneur divin à la créature»
20
. Le 28 août
1794,
Pie vi promulgua la Bulle Auctorem Fidei, qui condamnait ladite proposition
et affirmait au contraire que les fidèles n'adorent pas le Cœur de Jésus séparé
réellement, ou même par abstraction, du Verbe incarné, mais bien le Cœur humain de
Notre Seigneur, comme faisant partie de son humanité. En d'autres termes, la position
doctrinale orthodoxe de l'Eglise sera désormais celle-ci :
Le véritable objet de la dévotion au sacré Cœur, est le cœur matériel de Jésus-
Christ uni hypostatiquement au Verbe (...) car si par impossible le cœur de Jésus
cessait d'être uni personnellement au Verbe, il ne serait plus adorable du culte de
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