
68 LA SACRALISATION DU POUVOIR
qu'ils étaient de porphyre, le marbre impérial : en réalité, ils sont de marbre rose). 11
se trouvaient devant le palais du Latran et formaient une sorte de trône double. Le
pape devait s'asseoir sur ces deux sièges, dont la pierre symbolisait le fait qu'il était
arrivé au plus haut de l'échelle sociale. Il s'asseyait d'abord sur le siège qui se trouvait
à sa droite en arrivant. Puis le prieur de la basilique Saint-Laurent (chapelle du palais
pontifical du Latran, appelée aussi Sancta sanctorum) lui donnait la férule (une
baguette distincte de la crosse des évêques) et les clés de la basilique et du palais du
Latran, symbolisant sa prise de possession des lieux, ainsi que les privilèges et biens
liés à sa fonction. Ensuite, le pape s'asseyait sur le siège qui se trouvait à sa gauche, et
rendait la férule et les clés au prieur. Celui-ci le ceignait alors d'une ceinture rouge, à
laquelle pendait, suspendue à un cordon (figure de la chasteté et de l'innocence), une
bourse de pourpre contenant douze pierres précieuses (symbole des douze apôtres)
ainsi que du musc (qui servait à évoquer le parfum ou
«
la bonne odeur
»
du Christ).
Ces deux sièges représentaient aussi les apôtres Pierre et Paul. Le pape devait ensuite
s'asseoir- ou plus exactement «sembler s'allonger» - entre ces deux sièges «comme
s'il gisait entre deux lits» : il devait commencer par celui de droite, puis par celui de
gauche. Ce rite représente l'accession du nouvel élu à la papauté, avec une symbolique
extrêmement élevée (le porphyre impérial), et en même temps annonce son insertion
dans la succession des papes défunts : le nouveau souverain pontife s'inscrit dans la
filiation des apôtres et parallèlement préfigure sa propre mort (il s'allonge entre les
sièges).
Rituel du mercredi des Cendres
Bien qu'il ne fasse pas partie des rites liés à l'investiture du nouveau pontife,
j'aimerais
encore évoquer un rituel particulièrement intéressant concernant la
symbolique de caducité du pape. En principe (depuis qu'Urbain n l'a proposé comme
rite à la chrétienté lors du concile de Bénévent en 1091), un fidèle au Moyen Age
reçoit les cendres sur la tête en signe de pénitence, le mercredi des Cendres (jour qui
inaugure la période du carême). Et le prêtre ou le célébrant lui dit la phrase rituelle,
mémento
Homo : «
Homme,
rappelle-toi que tu es poussière et que tu retourneras en
poussière» (Genèse 18, 27 ; Job 34, 15). Le premier livre cérémonial a décrire la
célébration pontificale des cendres est celui du chanoine Benoît, rédigé vers 1140-
1143.
On nous y informe que le pape donne les cendres, mais on ne nous dit pas
s'il les reçoit également. Dans les cérémonials postérieurs d'Albinus et de Cencius
- déjà mentionnés - (tous deux du XII
e
siècle), le pape donne les cendres et il les
reçoit pareillement, sur son trône, des mains du premier des cardinaux-évêques qui lui
adresse à haute voix les paroles rituelles destinées à lui rappeler l'inéluctabilité de la
mort et la poussière qui l'attend dans la tombe. Au
XIV
e
siècle, la papauté d'Avignon
installe un équilibre remarquable. Le pape s'assied sur le trône, mais il ne reçoit pas
les cendres comme n'importe quel chrétien. Celui qui lui met les cendres sur la tête,
en principe le premier des cardinaux-évêques, ne doit rien lui dire, il ne doit pas
prononcer les mots que l'on dit normalement à tout chrétien pour lui rappeler qu'il
est homme et qu'il redeviendra cendres et poussières après la mort. Il y a une sorte de
compromis
:
étant donné qu'il est pape il n'est pas seulement homme, aussi est-il assis
sur le trône et on ne peut pas lui dire les paroles traditionnelles. Ce rituel montre cette
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