
LES PANÉGYRISTES JUIFS DE NAPOLÉON
I
E
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Le 15 août 1806, la synagogue de Paris, rue Saint-Avoye, est quasiment
transformée en temple voué au culte de l'Empereur. Heinrich Graetz parlera à ce
sujet de «temple païen»
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et l'on sait qu'ailleurs la Saint-Napoléon devient, comme
l'écrit
Bernard Plongeron, une cérémonie pagano-catholique
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. Le lieu de culte est
orné d'un portrait en pied de Napoléon en costume de sacre et recouvert de lauriers et
de banderoles tricolores
M
, on y brûle de l'encens, on y lit des discours, on y chante
des hymnes et des odes hébraïques à la gloire de l'Empereur. Quant aux prières,
elles n'ont aucun caractère spirituel: leur contenu est éthique ou politique, et paraît
seulement religieux
65
.
L'intérieur de la synagogue a été orné de lauriers de la victoire, de fleurs entourant
les monogrammes et armes de Napoléon et Joséphine et le tétragramme. L'Aigle
impérial surplombe l'autel. A l'entrée des membres de l'Assemblée des notables, un
orchestre joue
l'air
de Grétry Où peut-on être mieux qu'au sein de sa famille
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. L'on
peut faire un parallèle avec ce qu'a dit Baudouin Decharneux du projet de Caligula
de faire placer sa statue à l'intérieur du Temple de Jérusalem. Mais Napoléon, lui, ne
craint pas une révolte, alors que tout à fait consciemment, il transgresse un tabou, à
savoir celui de la représentation humaine ou divine.
Cette cérémonie a été étudiée en détail par Ronald Schechter, de l'Université de
Williamsburg, qui la voit comme exemplaire de la stratégie
d'une
minorité en matière
de «self-presentation»
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. Au-delà de l'accusation traditionnelle de flagornerie, il y
voit surtout une manière pour les juifs d'affirmer leur participation au culte impérial
et de s'approprier ses symboles - il est à noter que le gouvernement de Napoléon
reviendra sur cette latitude après ce semblant d'idylle, puisque, en 1809, le Consistoire
central israélite de France se verra désormais refuser le droit
d'user
du sceau impérial
dans sa correspondance
68
.
Schechter y insiste
aussi,
les langues des cérémonies et des assemblées, le français,
l'italien et l'allemand, sont les trois langues associées à Napoléon comme Empereur,
comme roi d'Italie et comme protecteur de la Confédération du Rhin. Enfin, l'hébreu,
le plus souvent traduit en français - signe de loyauté -, marque à la fois la sincérité,
l'inscription dans la tradition juive et l'attrait orientaliste du temps
w
.
Images de la sacralisation
Napoléon le Grand rétablit le culte des Israélites, le 30 mai 1806 est une eau-
forte de François-Louis Couché, l'un des graveurs officiels de Napoléon. Ici comme
ailleurs sans doute, il a reçu des instructions précises de l'Empereur sur le traitement
du sujet - on sait que les détails du cérémonial impérial et ses représentations étaient
inspirés par l'Empereur lui-même
70
.
Tous les personnages de Couché sont en blanc, sauf un, qui est habillé de noir et
qui fait penser, par son accoutrement, au président du Grand Sanhédrin, Sinzheim,
tel qu'il est représenté ailleurs. Renée Neher-Bernheim rappelle avec à-propos que
Sinzheim est le centre de gravité du Grand Sanhédrin, dont il est à la fois le président,
le chef législateur et le représentant principal de l'autorité religieuse. Il est, dans
l'optique napoléonienne, l'un des versants de la figure de Moïse, non pas tellement
le législateur mais celui qui est appelé à obéir aveuglément aux ordres impériaux et à
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