
188 LA SACRALISATION DU POUVOIR
ses détails en apparence les plus insignifiants
:
« Les coutumes de Mai que l'on voit
dans l'enfance de Jeanne d'Arc subsistent encore. M
me
Marot m'en parle »
20
.
Ensuite entre la région et la nation. Jeanne d'Arc, c'est la Lorraine qui se met
au service du pays tout entier, symbolisant une France décentralisée, assumant la
spécificité de chacune de ses provinces, diverse dans son unité, accordée dans sa
diversité : « Jeanne était née pour sauver la France. Elle ne se prêta, toutefois, à ce
grand rôle que parce qu'elle s'inclinait devant les prophéties locales, devant les sages
Lorrains, qui disaient le bon droit du Dauphin »
21
. La France menacée du
XV
e
siècle
fait évidemment écho à la France contemporaine amputée d'une part essentielle
d'elle-même. Le sacrifice de Jeanne, sa manière de mettre sa personne au service
de la France ont pour but de devenir des modèles pour des contemporains en mal de
vocation.
Entre raison et mystère. Jeanne d'Arc est prophétesse, inspirée et lucide, son
héroïsme puise sa source dans la vaticination. Barrés extrait du livre de Siméon Luce
cette formule « à pleurer de plaisir », de Jeanne devant ses juges : « Si
j'étais
au
milieu des
bois,
j'y entendrais bien mes voix »
22
.
Enfin entre christianisme et paganisme : « (...), Jeanne n'est pas une bergère
ignorante
:
elle est, au contraire, miraculeusement cultivée, dans ce vieux pays nourri
de légendes, de récits de voyageurs, d'Evangiles (authentiques ou apocryphes). Elle
est toute raison en même temps que tout mystère. En elle s'unissent, comme il dit
si curieusement, le sang de Velléda et celui des centurions romains »
2
\ Liée à une
sacralité païenne, proche en cela de la sorcière ou de la fée, Jeanne d'Arc n'est pas
seulement une sainte catholique. La spiritualité barrésienne a besoin de ces ancrages
terriens
24
: «Et quand Jeanne affirmait qu'elle ne serait jamais brûlée? Voulait-
elle dire qu'elle s'envolerait par la fenêtre ou que son corps, c'était la croyance des
sorciers, ne brûlerait pas. Vous autres, vous ne connaissez que les vieilles sorcières.
Mais elle, c'est la jeune sorcière »
25
.
Héroïne suspendue entre la sibylle et la sainte en qui s'unissent les voix de la terre
et du
ciel,
elle est 1 ' équivalent humain de l'arbre, symbole-clé de l'imaginaire barrésien,
représentant une sainteté
26
enracinée, un catholicisme terrien s'accommodant de la
présence des « dames fées »
27
. C'est en cela qu'elle est liée à un paysage : pour
comprendre Jeanne, il faut arpenter
Domrémy.
Le principe barrésien de la communion
avec le paysage est fondé sur la foi en une présence réelle : méditer dans les lieux où
Jeanne
a
vécu,
c ' est se mettre en mesure de la comprendre, non plus au sens étroitement
intellectuel du terme mais en un sens plus intime, engageant la totalité de l'être : « On
est près de la terre : on entend respirer cette belle campagne et sa fidèle population ;
on voit les points de suture qui relient le monde gaulois au monde catholique romain.
Dans ce paysage qui n'a pas bougé, si l'on médite ces vieux textes, on s'enrichit d'une
intelligence qui ne diffère pas de l'amour »
28
. La raison seule ne peut reconstruire
le parcours de Jeanne, comme en témoigne cette note des Cahiers du 11 septembre
1902
:
« Maladive journée qui me brise les nerfs. Avec mon fils à Domrémy. Perpétuel
attendrissement. Est-ce vieillesse ? J'ai honte d'être toujours au moment des larmes.
Divine douceur de ce paysage racinien, si mol, chétif et fort. Ce n'est point volupté,
car c'est désir de donner sa vie »
29
. Le paysage n'est plus seulement le lieu, c'est
l'être devenu lieu - Domrémy, c'est Jeanne devenue paysage : « De l'héroïne à sa
Comentarios a estos manuales